Inspiré par les paysages qui l'entouraient, les gestes parfaits des travaux de la vigne et des chais, les contes et légendes des anciens, Bruno-Eugène Borie développait une sensibilité particulière et un solide attachement aux terres de Beaucaillou. S’infusait en lui la satisfaction profonde que procure le travail bien fait, la belle récompense d’une récolte bien menée mais aussi la désolation d’un gel ou d’un orage de grêle, l’attaque rageante des limaces, du mildiou, de la rouille… ou plus simplement le pourrissement d’une semence dans un sol inondé. "La terre, c'est beaucoup plus que de la terre. C'est une chose vivante qui doit rester vierge, qui souffre, se défend et se venge." Jean Giono, (Regain).

Au milieu du printemps, la maison s’animait autour des dégustations Primeur. Bien entendu, cela n’avait rien à voir avec la grande célébration qu’elles sont devenues aujourd’hui. Ces messieurs les courtiers de la Place se rendaient au Château pour évaluer les vins de la dernière récolte avant de les mettre en marché auprès du négoce bordelais. "Mon enfance a été nourrie de l’histoire des Johnston; et donc de l’histoire de Ducru-Beaucaillou, propriété pour laquelle ils eurent toujours un attachement particulier." (Entretien avec Hugues Lawton) 

Parfois, dans ces mêmes moments, Bruno-Eugène Borie et ses aînés avaient l’honneur d’accueillir des importateurs : anglais, américains, belges, hanséates ou helvètes, quelques rares parisiens.

Son père, Jean-Eugène Borie très tôt l’a fait voyager. Bruno-Eugène Borie a découvert l’Amérique à 16 ans et grâce aux relations de son Papa, a pu faire un stage estival dans les vignobles californiens.

Étudiant à Bordeaux, Bruno-Eugène fréquentait le festival SIGMA qui lui a fait découvrir des horizons inconnus jusqu’alors. L’avant-garde du théâtre de la chanson et du spectacle. Puis, il y eut dans les entrepôts Lainé, l’ouverture du CAPC qui lui a procuré une ouverture à l’art plastique contemporain.

Ce fut un bouleversement. Son goût, assez classique jusqu’alors, s’ouvrit à la modernité. Parallèlement, Bruno-Eugène Borie a délaissé ses aspirations agronomiques pour l’économie et le commerce. Sa ruralité s’est progressivement teintée d’urbanité. Il s’est pris de passion pour les métropoles. Il a sillonné les musées d’art contemporain et les galeries. Bruno-Eugène a même envisagé de s’installer à Paris puis à New York et aussi Singapour.

Bordeaux continuait d’élargir son champ culturel. Mais c’est surtout, en voyageant à la grande exportation qu’il s’ouvrit au monde.

Alors que, depuis août 1981, date de son entrée au service de Peter Sichel, il s’était éloigné des terres de sa naissance, parcourant le monde pour y vendre les vins de son employeur, puis, dès 1985, pour construire un réseau de distribution pour le Lillet qu’il venait d’acquérir avec un groupe d’investisseurs, il sentit progressivement remonter en lui sa passion pour Ducru-Beaucaillou et germer son souhait de reprendre un jour le flambeau familial. Son père, d’ailleurs l’y incita, d’abord en lui transmettant très tôt la participation qui lui revenait puis en lui faisant rejoindre le Conseil de Surveillance de l’entreprise familiale. Après sa disparition en 1998, son frère François-Xavier souhaita réorganiser le groupe familial, lui restant seul à Pauillac à la tête de Grand Puy Lacoste et Haut Batailley, laissant leur Mère Madame Borie, leur sœur Sabine et Bruno-Eugène lui-même Ducru-Beaucaillou... et Ducluzeau.

Il avait atteint une certaine maturité lui permettant d’exprimer, dans son projet d’entreprise, une approche holistique : un attachement profond aux terres de Beaucaillou, son histoire et sa culture médocaine mais aussi sa passion pour la viticulture, les grands vins, la cuisine, l'art et le design, la grande musique et l’opéra.

Finalement, son projet actuel pour Ducru-Beaucaillou, c’est aussi assurer la perpétuation de ces moments intenses, ancrer, dans le monde contemporain, la pérennité d’un patrimoine culturel Médocain, mettre tout en œuvre pour retrouver dans les vins l’émotion qui ont fait naître en lui les 1959 et les 1961 de Ducru-Beaucaillou.

Ainsi, sa vocation se dessinait peu à peu, alimentée par l'amour de sa terre natale et le désir de partager avec le monde sa beauté et ses histoires mais aussi y amener les expériences et les émerveillements qu’il avait pu vivre au gré de ses voyages et visites.

Il portait en lui l'esprit du Médoc, un mélange de simplicité, de résilience et d'une profonde connexion à la terre, il amenait ici le goût de la science, du progrès et de l’innovation des valeurs qui allaient guider chacun de ses pas vers la réalisation de ses rêves médocains.